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Les jours qui suivirent me parurent vides de sens… Le temps avait perdu sa relative matérialité, plus rien ne semblait véritablement compter. Tout était vaporeux, jusqu’à mon existence même que je préférais nier. J’affrontais ma semaine sans vraiment la remarquer, vidée de toute volonté. Je ne m’aimais pas, alors à quoi bon m’appliquer pour faire de ma vie quelque chose de plaisant ? Je survivais simplement en mode automatique. Sans réfléchir : je me levais, m’habillais, contemplais par la fenêtre le ciel gris, allais travailler frigorifiée par la bise et rentrais, machinalement. Je me savais dans le gouffre de la dépression, mais ne souhaitais pas en sortir, tant cette mélancolie anesthésiante me paraissait douce alors. Jusqu’au jour où…

- Mademoiselle ! Mademoiselle, attendez !

Je me retournai et vis le patron de l’épicerie portugaise courir à ma suite alors que je rentrais chez moi. José, bientôt écarlate, vêtu de son polo bordeaux, trottinait à ma suite aussi vite que son embonpoint le lui permettait, agitant de la main une enveloppe.

- Attendez ! Ca fait plusieurs jours que… que… que je voulais vous voir… mais vous… vous aviez disparu, me dit-il arrivant à ma hauteur, essoufflé.

Disparue ? Apparemment, si la vie m’était devenue superflue, j’étais devenue superflue à la vie… No comment…

- Oui ?

- J’ai… J’ai quelque chose pour… pour vous… Ouf… Attendez… Je reprends mon souffle…

Je le regardais, perplexe, alors qu’il essayait de récupérer, plié en deux, les mains sur les genoux.

- Voilà, j’ai du courrier pour vous.

- Pardon ?

- J’ai du courrier pour vous.

Merci José, me dis-je, levant les yeux au ciel, j’ai bien compris le sens de ta phrase. Je ne comprenais pas, par contre, comment mon courrier avait pu se retrouver chez lui, ni même comment il savait qu’il m’était adressé : il ne connaissait pas mon nom.

- Voilà, tenez, me dit-il en me tendant une enveloppe, vierge de toute annotation.

Ma curiosité était piquée à vif. Je pris l’enveloppe entre les mains et remerciai José avant de me diriger rapidement chez moi. J’avais hâte de l’ouvrir et de découvrir ce qui m’attendait à l’intérieur ! A peine eus-je ouvert ma porte d’entrée et lancé les clefs sur le meuble du corridor que je me précipitai dans ma cuisine pour m’asseoir et découvrir mon courrier.

Une grande partie de mon salaire passait dans la location de cet appartement. Je l’aimais et m’y sentais bien. Au sixième étage d’un vieil immeuble, j’avais le luxe d’avoir un petit balcon m’offrant une vue sur l’Arve et Carouge, petite bourgade aux accents sardes. Un long couloir desservait les différentes pièces : à gauche, la cuisine et la salle de bain, à droite un salon donnant sur le balcon et, un peu plus loin ma chambre. Dormir en entendant le bruit de l’eau me donnait un sentiment grisant de luxe ! Je savais la chance que j’avais d’avoir un tel appartement, tant à Genève obtenir le moindre studio pouvait se révéler compliqué.

Une fois dans ma cuisine donc, je décachetai précipitamment l’enveloppe et sortis une lettre pliée en deux. La calligraphie semblait être celle d’un homme peu coutumier de l’écriture manuscrite… et peu regardant de l’orthographe ! Un petit sourire naquit sur mon visage lorsque je lus la première ligne :

Chèr Lila,

Il s’agissait donc d’une lettre de Véro !

Chèr Lila,

Si je ne voit pas avec mes yeux, je voit avec mes oreiles. J’ai bien entendu votre decepcion l’autre jour. J’esper avoir le plaisir de vous recroisez prochènement. Il semblerai que nous abitions le meme quartier, je suis donc sur que nous nous reverons. Sachez cependan que je vais visiter le musée d’art et d’histoire ce week-end, samedi, à 14h. Si vous voulé vous joindre a moi, se serai avec plaisire.

Véro

Je restai un instant à regarder la lettre, dictée par Véro mais écrite par José, puis la relus une seconde fois. Je ne savais qu’en penser. J’étais ravie de ce courrier, étonnée de la démarche, gênée par une spontanéité qui ne m’était pas familière, mais pourtant emplie d’allégresse.

Samedi, c’était demain… Je n’avais donc que peu de temps devant moi pour me décider, ce qui était un moindre mal. Je savais que j’allais hésiter à y aller, changer d’avis toutes les minutes, jusqu’à la dernière. Mais je ne pouvais décemment pas laisser passer cette nouvelle occasion offerte par un destin bien magnanime.