e / 5.

Je n’avais pas envie de quitter Véro… Seule sa compagnie pouvait prolonger l’état de grâce dans lequel je me trouvais ; un état de grâce qui, je le savais, ne résisterait pas à une confrontation directe et crue avec ma morne réalité. Ma dépression m’attendait sagement à la maison. Etendue de tout son long sur mon canapé, elle guettait mon retour pour me reprendre dans ses bras, prête à resserrer encore son étreinte, consciente qu’elle avait failli, cet après-midi, me perdre. Et alors que je compris que Véro s’apprêtait à me dire au revoir, je lui proposai d’aller boire un verre. Je n’étais absolument pas coutumière de ce genre de proposition spontanée, mais je n’avais pas le choix !

- Avec plaisir, me répondit-elle, à mon plus grand soulagement. Tu connais un endroit sympa ?

- Si ça ne t’embête pas de marcher dix minutes, il y a un bar à vin juste un petit peu plus bas, vers Rives. Tu aimes le vin ?, m’empressai-je de demander.

- Haaaaa, ma chère Lila, le vin et moi, c’est une longue histoire d’amour !

Elle esquissa un sourire, plaça sa canne blanche devant elle et positionna son bras afin que je pusse le lui prendre. Je compris qu’elle attendait que je la guidasse. Je passai alors mon bras dans le sien et commençai à avancer en direction du bar. Je me sentais empruntée, ne sachant à quelle vitesse je devais marcher ou si je devais l’informer des différents obstacles que nous pourrions rencontrer. Je savais ma marche peu naturelle, mon rythme maladroit… Je la sentais d’ailleurs extrêmement concentrée. Son corps était tendu et ses sens en éveil. Elle me parut alors tellement vulnérable, là, accrochée à mon bras… Aussi sordide que cela puisse paraître, sa vulnérabilité me faisait du bien : elle flattait mon ego. Je me sentais utile, investie d’une responsabilité vitale : si je lâchais son bras, le pire pouvait lui arriver. Mon estime reprenait des couleurs et des formes, tel le petit pain croustillant gonflant dans un four. Je sentais une chaleur nouvelle prendre possession de mon corps, une chaleur éminemment positive, témoignant de ce retour à la vie que j’étais en train d’éprouver.

Mais une chaleur aussi qui semblait émaner d’une source extérieure. Alors que nous marchions côte à côte, nos deux corps inconnus collés l’un à l’autre, je sentais la douce chaleur corporelle de Véro. Elle m’enveloppait littéralement, créant un espace de tiédeur et de volupté qui me protégeait du monde extérieur. C’était une sensation que je n’avais pas éprouvée depuis longtemps, très longtemps ! Célibataire endurcie, socialement inadaptée, pour ne pas dire totalement infirme des sentiments, je n’avais pas eu de contacts physiques prolongés avec un autre être humain depuis une éternité. Cette sensation était terriblement apaisante. Je goûtais avec avidité à cette intimité relative… Je sentais mon corps se relâcher, ma marche s’alanguir, le rythme de mes pas s’apaiser alors que celui de mon cœur chaloupait. Cette intimité nouvelle me grisait… Mais, soudain, me gêna : la vague de bien-être qui parcourait tout mon corps était sensuelle ! Je dus, sans le remarquer, desserrer mon étreinte car elle me demanda si nous étions arrivées. Ce qui, fort heureusement, était le cas. Embarrassée, je m’empressai de libérer mon bras afin de mettre un peu d’espace entre nous. Le froid s’engouffra alors entre nos deux corps.