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Véro était donc un personnage à part, singulier. Aujourd’hui encore, je ne peux que me réjouir de l’avoir rencontrée, et ce bien que notre histoire se termina sur un torrent de larmes… Mais même à l’apogée de ma tristesse, même lorsque les sanglots me terrassaient, je n’ai jamais, au grand jamais, regretté d’avoir rencontré cette femme. Une femme qui m’a fait découvrir un monde parallèle, empli de chimères et de poésie ; une femme qui m’a révélée à ma folie ; une femme qui m’a appris à m’aimer, sans fard et sans artifice.

Je me retrouvais donc sur le trottoir, sous une pluie battante, cherchant en vain à localiser Véro qui venait de partir sans véritables explications. Interdite, je finis par rentrer chez moi, trempée par une pluie qui ne semblait plus vouloir s’arrêter. Mais pour une fois, et croyez-moi, ça ne m’était pas arrivé depuis bien longtemps, je décidai de me focaliser sur le positif. J’oubliai donc le départ précipité de Véro, la pluie, la pollution qui s’emparait de Genève, l’odeur de pot d’échappement qui imprégnait mes habits et repensai à cette incroyable journée. Tant d’expériences inédites, tant de nouveautés ! Alors que je me remémorai les événements un par un - le musée, le tableau, la tempête, les verres avec Véro, mon hallucination - la tête me tournait. Je n’étais plus habituée à vivre autant d’émotions. En fait, je n’étais plus habituée à vivre, tout simplement. Ce surplus d’excitation et d’enthousiasme m’enivrait véritablement.

Cette gaieté inédite, cette envie de vivre, me donnait l’impression d’être une nouvelle personne. Exit l’ancienne moi, bonjour Lila ! J’étais prête à conquérir la vie, à me reprendre en main, à profiter de l’instant présent ! J’étais prête à… Ok, bon… Soyons honnêtes. Je crois que je m’emballe quelque peu… En vérité, un infime changement se produisit en moi. Une petite flamme s’était allumée. Toute petite… Et si je doute que les personnes qui me côtoyaient au jour le jour aient remarqué le moindre changement dans mon attitude, je peux vous affirmer qu’il signifiait beaucoup pour moi.

Les jours qui suivirent, je décidai de mettre à profit l’enseignement de Véro. Dans le tram, au tea-room ou encore au bureau, je fermais les yeux et essayais de me laisser gagner par un délire, quel qu’il soit. Je cherchais à imprégner mon quotidien d’un brin de poésie… Je cherchais à extraire le lyrisme des situations qui se présentaient à moi... Autant vous dire que ces tentatives furent des échecs. Dans le tram, je n’arrivais pas me défaire de la conversation d’un groupe d’ados. Une histoire de prof qui avait maté Fanny… Les écoutant, j’essayai de me rappeler comment j’étais à leur âge. Et j’eus la satisfaction de me dire : pas comme elles ! C’est en effet bien plus tard que je fis ma crise d’ado. Alors que nombre de parents étaient déjà sortis de cette période ingrate, les miens eurent le bonheur de constater qu’ils n’y échapperaient pas.

Au tea-room, rien de tout ça. Aucune conversation instructive à suivre, aucun potin juteux ou scandaleux. Je fermais les yeux, entendais les clients entrer et sortir, commander leurs viennoiseries ou leur sandwich. Et la seule chose qui me préoccupait alors étaient les deux croissants que j’avais mangés… La culpabilité m’assaillait alors que je maudissais ma gourmandise.

Je pense que la tentative la plus pathétique se déroula au bureau. Fermer les yeux pour se plonger dans l’univers magique de Véro était une gageure. J’étais sans cesse interrompue. Le téléphone sonnait, ma cheffe m’apportait du travail, la secrétaire me posait une question… En outre, je passais les rares moments où je gardais les yeux fermés à tendre l’oreille afin de savoir si quelqu’un s’approchait. Ce fut donc désastreux.

Je ne baissai pas les bras pour autant ! Je réfléchis alors à ce qui avait provoqué ce premier songe éveillé : l’art et une bouteille de vin. Je me rendis donc au Musée de Carouge. La raison de ce choix était simple : ce musée était à deux pas de chez moi et l’entrée était gratuite… Je me retrouvai donc à regarder les peintures d’André Kasper qui était à l’honneur à ce moment-là. Je regardais… Je penchais la tête pour voir une œuvre sous un autre angle… Je m’approchais… Je reculais… Je me questionnais… Je lisais la légende… Je décidai d’arrêter les frais lorsque je me trouvai devant un tableau intitulé la Poubelle et qui, comme son nom l’indique, représentait une poubelle. L’art n’était définitivement pas mon dada !

Il ne me restait plus que le vin comme unique espoir ! La perspective de boire seule me déprimant, je cherchai dans les contacts de mon téléphone une personne qui serait susceptible de vouloir prendre une cuite avec moi. Malheureusement, comme je vous l’ai avoué précédemment, je ne suis pas des plus sociable. Il m’était donc difficile d’appeler un pote et de lui dire : allez viens, on va picoler ! J’avais des amis, entendons-nous, mais pas suffisamment proches pour que je pusse m’hasarder à proposer une biture sans autre motif que le plaisir de partager ce moment avec moi !

Une semaine était alors passée. Une semaine pleine d’optimisme au début, de découragement par la suite. Ca ne marchait pas… Et je n’avais toujours pas de nouvelles de Véro… Comment en aurais-je eu me demanderez-vous ? Elle ne savait pas où j’habitais, n’avait ni mon numéro de téléphone, ni mon adresse mail… Et ce fut alors que je me faisais cette réflexion que l’idée me vint. Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ?