aj / 10.

J’étais partie du principe que c’était à Véro de me recontacter. C’était elle qui avait fui sans raison apparente, c’était donc à elle de faire le premier pas… Cependant, les jours défilant et mon enthousiasme naissant commençant à flétrir, je compris que c’était à moi de prendre les devants. Je décidai donc de remettre à José un courrier pour Véro. S’il avait pu me transmettre une première lettre, je ne voyais pas de raisons valables pour qu’il refusât de lui remettre ma réponse. Et c’est ainsi que notre échange épistolaire commença.

Chère Véro,

(Voilà plus ou moins à quoi ressembla ma lettre pendant de longues, longues minutes…)

Chère Véro,

Je tenais par la présente à te remercier encore une fois chaleureusement de m’avoir invitée à t’accompagner au musée. J’ai passé un moment délicieux en ta compagnie. J’espère que nous nous reverrons bientôt.

Lila

Ps. A toutes fins utiles, voilà mes coordonnées : choub_boub_2348@gmail.com

J’étais assez contente de ma lettre. Brève, concise et efficace : j’avais réussi à reprendre contact avec Véro et à glisser discrètement mon adresse mail. Bien que je n’étais pas sûre qu’elle pût l’utiliser : comment pourrait-elle m’envoyer un mail alors qu’elle était aveugle ?

Fort heureusement, sa réponse ne se fit pas attendre : une bonne vieille lettre au contenu… désolant…

Cher Lila,

Mersi por ta lettre. Suis ocupée en ce moment, reprandré contact avec toi asap.

V.

Je n’y croyais pas. J’avais le droit à une pauvre lettre au style télégraphique pour toute réponse ! Si mon premier sentiment fut une rage sourde, rapidement pourtant je me sentis humiliée. J’étais éjectée comme une pauvre chaussette : elle ne voulait pas de moi pour amie. Mon égo vacillant venait de prendre un coup et je savais que la petite étincelle qui s’était allumée à son contact allait s’éteindre, bientôt asphyxiée par mon pessimisme inhérent.

Ainsi, ce que j’avais précédemment appelé échange épistolaire se résuma à deux pathétiques lettres, bien que je ne sois même pas sûre que la réponse de Véro pût être qualifiée de lettre… Il doit sans aucun doute s’agir du plus court échange de l’histoire du genre.

Vous décrire ce qui se passa les jours suivants serait faire bien peu de cas de votre sens de déduction et une offense à votre intelligence tant cela fut prévisible. En trois mots : routine, routine, routine… J’avais à nouveau enclenché le mode automatique et ma vie se déroulait sans anicroche. Le naturel que j’avais chassé au galop était revenu et mon état dépressif s’était réinstallé, naturellement, comme si ce petit intermède étrange n’avait jamais existé. Le seul petit changement notable dans ma vie était mon obstination à passer tous les jours à l’épicerie portugaise. Je nourrissais encore le secret espoir qu’une lettre m’y attendrait. Chaque jour, je passais acheter une barre de chocolat, une bière, un paquet de mouchoirs, un chewing-gum, un coca light… Je ne sais pas si c’était par pudeur ou par une totale incompréhension de mon drame personnel, mais jamais José ne fit la moindre allusion à Véro, à ses lettres ou encore à sa récente nomination, suivie d’une toute aussi rapide destitution, au poste de facteur en chef. Bien souvent en pleine conversation avec un employé, c’est à peine s’il prenait le temps de lever la tête pour me saluer et m’encaisser. J’étais une cliente lambda… bla bla bla, bonjour, bla bla bla, trois francs cinquante, bla bla bla, merci, bla bla, au revoir. D’une tristesse tout ça…

Un jour pourtant, alors que rien ne laissait présager que le dénouement de ma séance shopping serait différent des autres fois, la lettre tant attendue me fut enfin remise. Je choisis sans beaucoup d’enthousiasme un Bounty, au chocolat brun, pas noir, et me dirigeai vers la caisse. Le même rituel s’initia alors : la conversation du patron avec son employé, entrecoupée de phrases m’étant destinées - phrases que je ne prenais même plus la peine d’écouter, sa relative indifférence à mon égard, l’argent échangé et la marchandise lancée dans mon sac. Un geste inhabituel de sa part me fit sortir de ma rêverie : tout en continuant sa discussion et sans même m’adresser le moindre regard, José me tendit un petit morceau de papier plié en deux. Un petit morceau de papier… Mon cœur se mit à battre. Je sais, vous pensez que c’est exagéré, mais ce fut pourtant le cas ! J’étais contente ! J’avais tellement hâte de savoir ce qu’elle souhaitait me dire, tout en redoutant pourtant qu’elle ne parachevât ce qu’elle avait commencé dans sa précédente lettre : une fin de non-recevoir.

Trop impatiente, je me précipitai dans la rue et m’empressai de lire le contenu du billet qui, soit dit en passant, nous faisait cette fois-ci définitivement sortir de la catégorie échange épistolaire.

Rdv, parque des Evaux, dmain, 8h.

V.