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Paris, Aéroport de Roissy, novembre 2002.

La mort… Voilà ce que je désirais : mourir… Je regardais par le hublot et essayais de contenir le torrent de tristesse qui me submergeait immanquablement. Mon univers s’était écroulé, du jour au lendemain. Un soir, avant d’aller me coucher, j’étais une femme heureuse, épanouie, pleine de vie ; le matin suivant, je n’étais plus qu’un tas de ruines inutiles et encombrant. Rassemblant le peu de courage qui me restait, faisant preuve d’un héroïsme hors du commun, je décidai alors de tout plaquer et de fuir, vite et loin ! Fuir quoi ?, me demanderez-vous. Un tas de choses… La ville qui m’avait vu éclore et qui risquait bien de me voir sombrer à nouveau. Les démons de ma dépression passée qui ne sauraient tarder à resurgir. L’absence de Véro dans mon quotidien. L’ancienne moi. La colère que j’éprouvais, tant à l’égard de Véro qu’à mon encontre : comment avait-elle pu laisser la situation se détériorer de la sorte sans ne rien me dire, comment n’avais-je pas pu m’avouer mes sentiments véritables ? Voilà donc ce que je fuyais…

Je pris donc un billet d’avion pour une destination quelconque. Peu m’importait de m’envoler pour l’est ou pour l’ouest, tant que c’était loin. Et ensoleillé ! Si la férocité de la vie me poussait à l’exil, je n’étais en effet pas prête à renoncer à tout : je ne voulais pas anesthésier ma douleur par le froid, mais par l’alcool et le soleil. Je me voyais déjà, couchée sur la plage, au soleil, à attendre que le temps annihile ma détresse. Mon programme était simple : je n’allais rien faire d’autre que ne rien faire !

J’avais donc pris un billet Air France pour la Guadeloupe, avec une escale à Paris. J’étais assise à la rangée 34 A, regardant obstinément dehors, attendant que les autres passagers prissent leur place et priant pour que personne ne vint interrompre ma…

- Vous permettez ? Puis-je m’asseoir ?

J’avais été interrompue… Evidemment… Et par la question la plus idiote que je n’eusse jamais entendue dans un avion. Si j’avais eu envie de lui répondre : Non, tu peux pas bouseux, et rien à foutre que ce soit marqué 34 B sur ton putain de billet, tête de couilles. Alors tu prends ta petite valise pourrie et tu dégages, je me contentais d’un bien sûr, net, précis, poli. Redoutant que le bouseux en question en profitât pour engager la conversation, je retournai la tête en un geste appuyé, regardant à nouveau les chargeurs malmener nos valises.

Fixer la piste m’assurait non seulement de ne pas avoir à parler à mon voisin, mais me permettait aussi de cacher ma douleur aux autres passagers… Par vagues, le chagrin me submergeait : des flots de larmes encombraient mes yeux, roulaient sur mes joues et se perdaient dans l’infini de ma désolation. Les traces salées que laissaient derrière eux mes pleurs se figeaient en un témoignage amer. Je tanguais, proche de chavirer. Je m’abîmais dans une douloureuse mélancolie. Je…

J’aurais aimé pouvoir continuer de me décrire telle l’Ophélie de Hamlet, mais je dois quand même vous avouer que la réalité de ma tristesse était bien plus triviale. Mes yeux étaient rougis et gonflés par les larmes pleurées, mon nez virait au violet, j’avais envie de vomir et j’alternais entre un reniflement bruyant ou un discret mais néanmoins peu ragoutant essuyage de morve du revers de la main. On peut être triste et manquer d’anticipation : je n’avais pas de mouchoir avec moi. Cette seule pensée suffit à me faire pleurer à nouveau. Huit heures de vol, des torrents de larmes à venir et pas un seul mouchoir… J’étais perdue.

Et voilà… Si nous nous avancions à comparer mon récit à un conte de fée - ce qu’il n’est évidemment pas, je vous l’accorde, mais je fais à nouveau appel à votre maintenant légendaire imagination - donc si ce récit était un conte de fée, je pourrais dire que mon prince charmant fit irruption dans ma vie moyennant une phrase pathétique et… un paquet de mouchoirs. Ainsi, regardant toujours obstinément par la fenêtre, je vis apparaître dans mon champ de vision un kleenex, amené bien à propos. Sans prononcer la moindre phrase, peut-être s’était-il spontanément censuré suite à ce dramatique premier contact, mon voisin venait à mon secours.

- Berci… Bais je doute qu’un seul suffise, dis-je dans un souffle.

- Je vous réapprovisionnerai, me dit-il d’un ton ferme mais pourtant empli d’empathie.

Alfie me regarda alors avec tendresse ce qui ne manqua pas de raviver mon émoi. Les larmes s’amassèrent à nouveau dans mes yeux et je hoquetais de chagrin. J’imagine qu’il paniqua… Je ne vois pas d’autre explication à sa prochaine question…

- Alors ? Vous prenez l’avion aujourd’hui ?