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Et c’est ainsi que, après m’être délestée de la moitié de mes affaires, et ce sans le moindre regret - l’abandon de mon sac me donnait l’impression métaphorique de me couper de ma vie d’avant-, je sillonnai à vélo la Guadeloupe en compagnie d’Alfie. Du moins, une partie de la Guadeloupe ! Je parvins en effet à le persuader de louer une voiture lorsque nous visitions la région montagneuse de l’île.

Bien que totalement réfractaire au moindre effort physique, cette escapade cycliste fut salvatrice. J’avais tellement mal aux jambes mais, et pardonnez ma trivialité, surtout au cul, que mes peines de cœur furent totalement et instantanément oubliées. C’était horrible ! J’avais de la peine à marcher, à monter les marches, à me baisser mais aussi à m’asseoir ! Je vous laisse imaginer mon calvaire lorsque j’allais aux toilettes et qu’ainsi toutes ces activités étaient réunies en un seul moment. Malgré tout, je le suivis gaillardement. Me plaignant par-ci, par-là, jurant de temps en temps, faisant preuve d’un humour cynique caustique… Je crois d’ailleurs que c’est cet aspect de ma personnalité, d’ordinaire incompris, qui séduisit en premier Alfie. Mon cynisme se mariait à la perfection avec sa bonhomie ! Et je le faisais rire !

Ce voyage en Guadeloupe fut une parenthèse tellement heureuse dans ma vie. Je découvrais un paysage magnifique, totalement différent de celui de ma Suisse natale, un rythme de vie simple, dicté par le lever et le coucher du soleil ou encore par les caprices de la météo, le bonheur de siroter une bière et de fumer une cigarette en admirant un coucher de soleil appuyée sur mon vélo, le sommeil qui s’emparait de moi sans crier gare le soir et une relation dénuée de toute ambiguïté. Alfie et moi étions compagnons de voyage et, certains soirs, de biture. Rien de plus. C’était apaisant. Nous partagions un moment que j’estimais être privilégié et me délectais de la simplicité de ma vie. Nous papotions des heures durant, de tout et de rien ; nous demeurions silencieux, partageant une contemplation méditative ; nous nous échauffions les esprits selon les sujets abordés… Nous nous entendions à merveille ! Si bien que lorsque je l’entendis me proposer de prolonger mon voyage, j’acceptai sans hésiter.

Je vous vois douter de la véracité de mon récit et vous poser des questions. Un mec célibataire qui ne saute pas sur une fille seule ? C’est soit qu’elle est encore plus moche que la description qu’elle a faite d’elle en début de livre, soit qu’elle nous ment. Et son boulot alors ? Son employeur lui garde sa place au chaud en attendant qu’elle daigne rentrer ? Mais bien sûr…

Sachez donc, cher lecteur, que je ne vous ai pas menti. Alfie était une sorte de gentleman utopiste tête en l’air… Et je pense sincèrement que la possibilité d’une quelconque relation physique ne lui avait simplement pas traversé l’esprit ! Du moins pendant cette première partie du voyage... En ce qui concerne mon boulot, ma situation se résumait en un mot : chômage. Mes absences répétées ainsi que ma désertion aussi soudaine qu’imprévue eurent raison de la patience de mon employeur. Je reçus un courriel quelques jours après mon arrivée en Guadeloupe m’informant que j’étais licenciée sur le champ. Mes maigres économies devraient donc me suffire pour un temps.

Quant à son manque d’attirance pour moi, je dirais que mes atouts féminins étaient largement entamés par les conditions inhérentes à notre mode de transport et à notre style de voyage. J’étais sale, je puais, mes cheveux ressemblaient à un amas immonde d’algues indémêlables et mascara, crayon ou encore crème de jour avaient été considérés comme superflus au début de notre périple, tout comme mon rasoir d’ailleurs… J’étais donc horriblement poilue ! Bref… J’étais 100 % nature ! Pas étonnant qu’il n’ait pas immédiatement eu envie de moi, vous en conviendrez.