ba / 21.

Genève, mai 2002.

Le moment fatidique était arrivé. J’étais en bas de chez elle, fébrile. J’avais hâte de la revoir mais pourtant, je redoutais de me retrouver en face d’elle. Qu’allais-je lui dire ? J’étais totalement paniquée. Mon trac s’était matérialisé sous forme de boule dans ma gorge, m’empêchant de respirer correctement ou de parler intelligiblement… Pour autant, j’avais décidé de ne pas laisser mon angoisse transparaître : je souhaitais simuler l’indifférence.

Je sonnai à sa porte, sûre de moi et de l’effet que je produirais sur elle. J’attendis… Un bon moment… Je commençai à sentir mon assurance feinte s’effriter. Je sonnai à nouveau. Enfin la porte s’ouvrit sur Carmelo. Grand, italien, beau gosse et selon toute vraisemblance, doué au lit. Du moins, selon les dires de Véro… Il ouvrit la porte, me lança un ha, salut et retourna à la fête, me laissant seule, sur le palier de la porte. Personne ne faisant d’ailleurs attention à moi. Ignorée de tous, je pénétrai dans l’appart de Véro et la cherchai du regard. Vous n’avez pas idée à quel point je me sentais idiote à ce moment précis ! Heureusement, me dis-je, elle ne voit pas cette entrée pathétique… Elle discutait dans la cuisine avec deux amis. Allez Lila, courage. Vas lui dire bonjour, calme et assurée. Tu seras parfaite ! Go !, m’exhortais-je.

- Salut Véro ! dis-je en lui posant la main sur l’épaule.

- Salut Lila. Cool que tu sois venue. Fais comme chez toi, sers-toi un verre, me dit-elle avant de détourner la tête et de reprendre le cours de sa conversation. Donc tu comprends, le principal problème à mon sens n’est pas l’appropriation de la forme par l’artiste. C’est plutôt le manque d’appropriation du sentiment par le visiteur. C’est systématique ! C’est…

Je me détournai et n’entendis pas la suite. J’étais complètement déstabilisée. Tel un automate, je me servis un verre que je sirotai, perdue dans mes pensées, regardant pas la fenêtre de la cuisine. Mon plan était un échec : elle me battait froid. Je la vis d’ailleurs toute la soirée passer d’un groupe à l’autre, rire, boire et danser. Sans moi… Il y avait peu, nous étions Véro-et-Lila : toujours ensemble, toujours inséparable. Elle me cherchait, aimait danser avec moi, être avec moi, être à moi… Aujourd’hui, elle se riait de moi.

Cherchant à sauver les apparences, j’essayais à plusieurs reprises de me joindre à des groupes d’amis. Je m’approchais, tel un crabe, et essayais de prendre part aux conversations. Point besoin de vous le rappeler, je suis handicapée des relations sociales. Approcher des inconnus pour bien souvent essuyer un échec était terriblement éprouvant. Je battis donc en retraite vers les minuit, sans même dire au revoir à notre hôte. Triste, dépitée, déboussolée, je traînais mes basques jusqu’à chez moi, impatiente de me couler dans l’anonymat de mon lit et de mes rêves. Qu’est-ce que je regrettais, à ce moment précis, d’avoir quitté pour ce fiasco, la position horizontale qui avait été mienne des jours durant ! A peine arrivée, j’ôtai mes habits alors que j’avançais en direction de ma chambre, les essaimant ainsi dans tout mon appartement, et plongeai dans mon lit. Le sommeil allait être d’un réconfort évident… Ou pas !

Le croyez-vous ? Impossible de dormir ! Impossible de fermer les yeux ! L’échec de ma soirée m’obsédait. Je me tournais et me retournais dans mon lit, à la recherche de la position qui me permettrait, enfin, de m’assoupir. En vain. Elle se fout de ma gueule, me disais-je. Et pourquoi m’a-t-elle invitée si c’est pour m’ignorer ensuite ? C’est quoi son problème ? J’en voulais à Véro pour son comportement. Et je m’en voulais de n’avoir pas su retourner la situation à mon avantage. Plus les minutes passaient, et plus je sentais grandir en moi une colère sourde. C’était comme une marée noire qui prenait possession de mon corps : mon cœur pompait avec vigueur un sang bileux, rouge comme l’enfer, qui se répandait en moi. Jusqu’au moment où cette colère ne pouvait plus être canalisée. Je bondis hors de mon lit, enfilai mes habits, suivant pour se faire le chemin inverse effectué quelques minutes auparavant, et me précipitai dehors. Je retournai chez Véro, désireuse de m’expliquer avec elle. Je marchai d’un pas décidé et je n’eus besoin que de quelques minutes pour parcourir les rues qui séparaient nos deux appartements. Sans réfléchir, je rentrai dans son immeuble, montai les étages et sonnai à sa porte. Ce fût à nouveau Carmelo qui m’ouvrit, mais je ne lui laissai pas le temps cette fois-ci de me planter sur la pallier. Je le bousculai, marmonnant un ouais, re salut et me dirigeai droit vers Véro. Je remarquai au passage que son appartement s’était bien vidé. Beaucoup d’invités étaient déjà partis : il ne restait que trois ou quatre personnes qui discutaient, assises dans le salon, et Véro qui parlait avec Elisa. Je m’approchai d’elle, et lui dit simplement, interrompant leur conversation :

- Tu te fous de ma gueule Véro ?