be / 25.

Californie, aujourd’hui.

Comment commença ma relation d’amour avec Alfie, vous demandez-vous certainement. Et bien de la façon la plus simple, mais pourtant de la plus incongrue qui soit. Laissez-moi vous raconter.

Comme je vous l’ai expliqué, nous avons, de longs jours durant, écumé la Guadeloupe. A pied, à vélo, parfois en voiture, nous avons visité les deux îles, profitant des paysages magnifiques qui s’offraient à nous, mais négligeant de prendre soin de nous. Me recouvrir de crasse me permettait peut-être de masquer mon passé… Un passé qui pourtant n’oubliait jamais de refaire surface… Je pensais à Véro lorsque le vent, lubrique, soulevait les robes des arbres pour m’en dévoiler leur intimité. Je pensais à Véro lorsque des oiseaux, taquins et chamailleurs, traçaient d’invisibles dessins dans le ciel, battant fougueusement de leurs ailes et perdant par-ci par-là quelques plumes. Je pensais à Véro lorsque le soleil empourprait la ville qui le regardait se coucher. La fumée de ma cigarette dansait dans l’atmosphère et me rappelait les courbes de son corps vibrant sous mes caresses. Je m’empressais alors, d’un geste de la main, de la faire disparaître de ma vue et de ma mémoire. La glace que je léchais lascivement congelait ma langue et me rappelait l’érotisme de ses baisers. Je jouais avec le feu et me brûlais la peau, cherchant à reproduire la douleur qu’elle m’avait, un jour, causée alors que nous nous disputions.

Je surpris bien souvent Alfie me dévisageant, lorsque ses souvenirs à la douceur intolérable me terrassaient. Je savais mon visage se ternir momentanément, mes yeux se mouiller furtivement et mon regard s’emplir de tristesse. Mais jamais il ne franchit la limite que j’avais moi-même posée un jour. Alors que nous étions tous deux assis côte à côte, sirotant une bière en silence, je cru bon de prendre les devants. Avant même qu’il ne s’hasardât à me poser la moindre question, je dis : Alfie, s’il te plaît… Ne me demande jamais de te parler de Véro… Elle m’a aimée, elle m’a sauvée, elle m’a quittée.

Un jour que nous marchions dans une ville dont le nom m’échappe aujourd’hui, Sainte-Anne je crois mais ma mémoire me joue parfois des tours, poussant nos vélos, Alfie me regarda avec affection et me dit :

- Lila, tu sais, je t’aime. Mais vraiment, là, tu ne ressembles plus à rien… Et tu pues !

Voilà donc comment débuta notre histoire d’amour ! Par une déclaration suivie de l’énonciation aussi crue que sincère de la réalité de mon état, tant vestimentaire qu’hygiénique. J’éclatai de rire et posai un baiser sur ses lèvres ! Nos sentiments étaient une telle évidence que leur aveu ne surprit ni l’un, ni l’autre. Je ne suis même pas sûre qu’il se rendit compte de la portée de ses paroles. Ni moi non plus d’ailleurs. Notre couple existait avant même que nous ne nous en rendions compte et, surtout, avant même que nous scellions le pacte de notre amour par une relation plus intime.