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Je ne sais exactement à quel moment je pris conscience du fossé qui se creusait entre Véro et moi. Car il s’agissait véritablement d’un fossé, bientôt trop important pour que notre relation put continuer sans que l’une ou l’autre acceptât de modifier ses attentes… J’ai longtemps pensé que Véro appréciait simplement ma compagnie et la féerie de notre relation. J’ai longtemps pensé que les liens qui nous unissaient étaient ceux d’une amitié aussi étrange qu’impénétrable. Car en vérité, pourquoi une femme de l’acabit de Véro aurait-elle voulu d’une femme comme moi ? Boulotte, au charisme inexistant, au QI proche de celui d’un poisson rouge et à l’expérience en matière d’amour quasi nulle ? Honnêtement ! Il m’était totalement impossible de concevoir qu’elle pût m’aimer. Il m’était impossible de concevoir qu’elle pût désirer une véritable relation avec moi. Quelle perte de temps pour elle, n’est-ce pas ? Et pourtant, Véro m’aimait. Moi. Pour ce que j’étais véritablement. Elle aimait Lila…

Pour ma part, j’aimais passer du temps avec elle. J’aimais la poésie du monde qu’elle m’avait fait découvrir. J’aimais la Lila qu’elle avait faite éclore sous ses doigts experts : sauvage, accomplie et affirmée. J’aimais être avec elle tout simplement. Mais par-dessus tout, j’aimais constater l’étendue de tout ce qu’elle pourrait encore m’apprendre. Etre à ses côtés m’assurait une vie pleine. Mon corps, mon âme et mon être tout entier tressaillaient d’impatience à l’idée de découvrir de nouvelles sensations ou de nouvelles chimères. J’étais heureuse comme je ne l’avais jamais été avant. Mes journées étaient empreintes de lyrisme et de magie alors que mes nuits laissaient à mes pulsions le loisir de s’assouvir.

Comprenez-vous la nuance entre ses sentiments et les miens ? Elle est de taille, n’est-ce pas… Et évidemment, plus le temps passait, plus cette différence posait problème. Véro souhaitait que nous nous affichions, tel un couple heureux et assumé. Elle voulait que nous partagions des projets d’avenir, que nous bâtissions les fondations d’un futur commun. Elle souhaitait que j’emménageasse chez elle et que nous partions ensemble en vacances. Mais nous n’étions pas un couple. Pas à mes yeux… Et je ne souhaitais pas que nous le devenions…

De terribles disputes se produisirent entre nous. La force de nos engueulades n’avaient d’égal que la cruauté des mots que nous pouvions alors échanger. Les étincelles jaillissaient, fruits d’une tension électrique démesurée. Je pensais ces altercations anodines, je pensais que Véro cherchait un prétexte pour laisser éclater le surplus d’émotions qui s’accumulait en elle. Elle avait en effet cette exceptionnelle qualité de vivre chaque minute pleinement, ressentant la force de la vie, la beauté des instants et l’obsolescence de l’existence. C’était un don du ciel autant qu’une malédiction divine… Mais Véro souffrait… A cause de moi et par moi… Et je ne le compris que bien trop tard…