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Je me souviens très bien d’une de ces disputes assassines… Je porte encore le stigmate de la blessure occasionnée par Véro sur mon avant-bras. Ainsi, comme c’est souvent le cas, notre dispute avait vu le jour pour une raison totalement futile et aberrante. Ne reconnaissant pas immédiatement la menace, j’avais même ri de la bêtise de la situation. Jusqu’à ce que nous atteignions le point de non-retour. Jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible d’éviter de nous en prendre l’une à l’autre, tant verbalement que physiquement.

- Dis, Lila, tu m’accompagnes ce soir ?

- Y a quoi ce soir ?

- Une table ronde : « l’art et le handicap ».

- Ben non alors…

- Pourquoi pas ? Je suis invitée à parler ! J’aimerais bien que tu viennes…

- Franchement Véro, que veux-tu que j’y fasse ?

- Que tu viennes m’écouter.

- Je t’écoute volontiers chanter sous la douche si tu veux, répondis-je, taquine.

- Allez Lila, s’il te plaît. Fais ça pour moi…

- Non, Véro, désolée ! Non. Je ne suis ni passionnée d’art, ni handicapée, répondis-je sur le ton de la boutade.

- Pas si sûre…

- Quoi ?

- Pas si sûre je dis.

- Et qu’entends-tu par là ?

- Que tu es à la limite du handicap mental par moment, répondit-elle.

- Je te remercie, ça fait plaisir.

- Non mais franchement Lila, regarde-toi ? T’as tellement peur de t’engager que tu n’oses même pas m’accompagner à une table ronde ! T’es pathétique !

- Je n’ai pas peur de m’engager, j’ai pas envie de perdre une soirée à écouter des passionnés d’art handicapés déblatérer des heures durant sur un sujet dont je ne connais rien et dont je me fous royalement.

- Tu trouves toujours une excuse bidon pour ne pas venir Lila. Toujours. Quand c’est pas ton aversion pour l’art, c’est tes règles, quand c’est pas tes règles, c’est que tu es fatiguée. T’as toujours une raison de merde pour ne pas m’accompagner. Alors oui, excuse-moi, mais je pense que tu es trop handicapée des sentiments pour oser prendre le risque de t’engager.

- Mais putain, je te dis que j’ai pas peur de m’engager ! Je n’en ai pas envie, c’est pas la même chose. Tu peux comprendre ça, ou non ? Ou c’est trop compliqué ? J’ai pas envie !

- Avec moi !

- Quoi avec moi ?

- T’as pas envie avec moi !

- Non, j’ai pas envie avec toi. Ca fait cent fois qu’on a cette discussion, ça fait cent fois que je te répète que j’ai pas envie qu’on soit un couple Véro ! Et franchement, tu ne vas pas me faire croire que c’est ce que tu veux. Je te connais trop bien. C’est pas ton truc, le couple traditionnel, je le sais. Tu me l’as dit en plus ! Alors ne viens pas me faire chier avec ton besoin irrationnel de disputes débiles sur des sujets à la con. T’as besoin d’extérioriser tes sentiments ? T’as besoin de relâcher la pression ? Va dans ton atelier et fous-moi la paix. Tu me fais chier à m’utiliser comme exutoire. Ok ? Tu me gonfles là.

- Va te faire foutre Lila !

- C’est ça ! En attendant, casse-toi et ouvre la fenêtre au passage, on manque d’air ici…

Alors que nous échangions ces paroles, la température avait en effet grimpé subitement dans la pièce. Les gouttes de sueur perlaient sur mon front et des auréoles de transpiration se formaient sous mes aisselles. Il faisait une chaleur suffocante. Je m’essuyai le front du dos de la main et constatai que mon visage ruisselait. Je ne compris pas tout de suite que cette source de chaleur émanait de Véro. Elle était en transe, hors d’elle, fumant littéralement. Elle bouillonnait de l’intérieur, sa peau devenant aussi chaude que l’enfer. La rage la consumait alors que ses yeux, d’ordinaire si pâles et si beaux, viraient au rouge vif. Lorsqu’elle fit volte-face, souhaitant quitter la pièce et mettre une distance salutaire entre nous, elle m’effleura l’avant-bras. Ce bref contact me fit hurler de douleur. La peau de Véro était en feu ! Elle venait de me brûler !