cj / 30.

Californie, aujourd’hui.

Quelle injustice pour Alfie… J’ai pris le temps de vous raconter mon histoire. J’ai pris le parti de vous dévoiler ma vie et les recoins intimes de ma liaison avec Véro, alors que je ne lui en ai jamais parlé… Ce qu’il connait de mon passé se résume à une phrase : elle m’a aimée, elle m’a sauvée, elle m’a quittée.

Maintenant donc que j’ai finis de vous raconter mon histoire, maintenant que j’ai partagé avec vous la folie de mon passé aux côtés de Véro, je me dois d’en parler à mon conjoint. Celui qui me regarde m’émouvoir devant un champ de lilas, celui qui me voit éclater de rire lorsqu’il pleut, celui qui me surprend maudissant une serveuse alors qu’elle ne peut pas… Il a accepté de me partager avec la douce folie héritée de Véro, sans ne poser la moindre question. Il a aimé mes délires secrets et mes démences passagères. Il m’a aimée et je l’ai aimé… Lui. Pour ce qu’il est.

J’ai donc décidé, en cet après-midi du 5 septembre 2053, d’ouvrir une brèche dans mon passé. Nous sommes toujours assis sur notre terrasse californienne, buvant notre thé à petites gorgées (entre vous et moi, j’ai toujours détesté le thé…) et faisant notre deuil de nos petits biscuits quotidiens. Alors qu’il lit son journal, je glisse devant lui une feuille A4 pliée en quatre, brunie par le temps, abîmée par les nombreuses lectures. Il me regarde, étonné.

- Je te dois des explications je crois, Alfie.

- Tu ne me dois rien du tout, ma chérie.

- Lis.

- D’accord…

Alfie prend la feuille entre ses longs doigts décharnés. Il la déplie lentement, s’assurant ainsi que son léger tremblement ne déchire pas le papier, la pose doucement sur la table, puis commence à lire. Il prend son temps, alors que je regarde mes mains et que je joue avec ma bague.

- C’est très beau…

- N’est-ce pas ?

- C’est de Véro ?

- Oui.

- C’est très triste aussi…

- Je suppose que oui… Mais je n’en suis pas si sûre… Je ne sais même plus si Véro a véritablement existé. Je ne sais même plus si elle n’a pas été simplement le fruit de mon imagination, le fruit d’un cerveau un peu fou qui avait besoin de distractions, fatigué d’être embourbé dans un quotidien insipide, dis-je en caressant ma cicatrice.

- Qui aurait écrit la lettre alors ?

- Je ne sais pas… Elle ? Moi ? Personne ? C’est encore une fois la magie de Véro : le réalité disparaît, laissant place aux doutes et aux possibles…

- Veux-tu me raconter ce qui s’est passé ?

- Que te dire, Alfie ? Tout ce que j’ai vécu, du jour où je l’ai rencontrée à aujourd’hui, je l’ai vécu grâce à elle… Ma vie entière découle de notre première rencontre sur un passage pour piétons. Nos vies devrais-je dire. Et j’ai compris bien trop tard toute l’étendue des sentiments que j’éprouvais pour elle… Je l’ai aimée profondément. Oui, vraiment… Je l’ai aimée… Avec fouge et passion. Aveuglément… Sans m’en rendre compte. Ce n’est que le jour où elle m’a quittée que j’en ai pris conscience.

- Et bien ma chérie, je lui en suis reconnaissante. Sans elle, jamais je n’aurais rencontré ma folle de femme !

- …

- Raconte-moi votre histoire Lila. J’ai envie de comprendre qui était Véro. J’ai envie d’apprendre à la connaître…

- Pas maintenant Alfie, je suis fatiguée, je crois que je vais aller m’allonger un moment avant le repas. Mais je te promets qu’un jour, je te raconterai en détails mon histoire…